La chute

La chute

Mon travail de peinture est avant tout un travail d’image, de représentation. Le jeu ou l’expérimentation se situe au niveau du rapport entre les surfaces de représentation et les zones de «peinture». Ce jeu est dicté par des considérations matérielles de couleurs, d’équilibre, de textures et de rythme. Mais les toiles sont toutes reliées à une réflexion, à des considérations conceptuelles auxquelles la matière répond, renvoie. C’est grâce aux outils qu’offrent la représentation, la narration, que je peux jouer avec ces idées. Ces réflexions, ces concepts sont donc issus d’un «dialogue» personnel entre les idées de la philosophie et le processus de réalisation. Et le tableau, s’il dit quelque chose, raconte cette rencontre.

Dans ce jeu, traversé de toutes parts par le discours, la théorie représente donc un accompagnement important. C’est à travers le discours, à travers le langage, que je trouve les mots pour nommer ce que je fais. Mais ce que je fais concrètement, c’est une recherche constante de moyens mis en œuvre afin de marquer la surface, de représenter la profondeur, les personnages. C’est de la peinture. Cette recherche, que je nommerai ici un questionnement sur la surface et la profondeur, a basculé, à la suite d’un désir de m’investir dans un travail profond, dans une réflexion personnelle d’ordre ontologique. À travers ces rencontres entre la surface et la profondeur, c’est de concepts de plus en plus abstraits que je me préoccupe. Ces concepts, ces idées que je découvre en parcourant des textes philosophiques, je ne sens pas le besoin de les rendre intelligibles dans ma peinture, mais je me permets de conceptualiser des mises-en-scènes à partir des «rencontres» décrites dans les argumentaires des différents philosophes. Les narrations décrites dans mes toiles viennent d’une certaine façon souligner ce qui se passe dans les différents avatars de la représentation. Ces narrations évoquent entre autres l’isolement, l’intériorité, la confrontation, la perte de repères, la vie en communauté.

Le titre de la présentation publique de mon travail est inspiré du livre éponyme de Albert Camus, La chute (1956). Je m’inspire de ce livre pour nommer un moment dans ma pratique. Un moment qui suit la recherche théorique des études de maîtrise et que j’ai découvert à travers ces recherches. C’est un passage obligé, un moment de lucidité dans le processus. Un moment qui se répète, qui revient à chaque fois comme une surprise, chaque fois que je pense avoir un certain contrôle sur mes moyens de production, sur le langage que je déploie. C’est une chute dans la conscience et dans le doute. C’est une chute essentielle que je ne fuis pas, dont j’assume la responsabilité et les limites.