Intérieurs
Ma recherche tente d’explorer en peinture les relations possibles entre des propositions plastiques aux approches formelles hybrides, voire contradictoires, et une construction narrative qui installe elle aussi des ruptures et des oppositions.
Concrètement, je crée, à partir de prises de vues photographiques, des toiles qui mettent en scène des figures humaines. Travaillées de façon réaliste ou évoquées par des sihouettes, les personnages établissent par leur pose, leur attitude, une situation d’étrangeté en rapport au lieu où elles se trouvent. Dans ces exercices de «construction de signes», où la manière de peindre participe à la construction du sens, la narrativité peut confirmer ou infirmer le rapport de tension entre le personnage et son environnement. À partir d’images photographiques, j’expérimente l’élaboration d’espaces nettement découpés et affichant des traitements picturaux différents. En juxtaposant et superposant abstraction, figuration, imagerie populaire, je veux continuer à explorer les différentes modalités d’expression de la peinture.
Ce travail prend le relais d’une série de portraits réalisés entre 2003 et 2005 : «L’entreprise de solitude». J’y avais alors exploré le thème du portrait en relation avec la notion de «colonisation du monde vécu» que décrit Habermas dans la Théorie de l’agir communicationnel. Il y aborde le rapport de force entre l’individu et le «système», qui est devenu chez moi un vecteur de recherche dans la pratique du portrait.
Depuis, la question du rapport de force entre l’individu et son monde m’a entraîné vers un concept semblable chez un autre auteur. C’est dans la notion d’«être-jeté» de Heidegger que je crois trouver des liens intéressants avec ma pratique actuelle. Par cette notion, Heidegger cherche à nommer «l’expérience de l’impuissance devant l’étant, et aussi cette domination et cette pénétration par l’étant […] L’homme est naturellement jeté au milieu de l’étant.» Je veux faire ressortir ces notions d’impuissance du sujet et d’inter-pénétration entre celui-ci et l’espace construit qu’il habite dans des toiles où la narrativité est équivoque. Inspiré par les figures solitaires des paysages de Peter Doig et par les personnages expressionnistes des toiles de Daniel Richter, j’essaie d’examiner l’effet d’un hiatus entre la représentation de la figure humaine et son environnement pictural. En construisant mes peintures comme des architectures schématiques presqu’abstraites où viennent s’insérer des personnages, des silhouettes, je cherche à définir les termes d’une certaine ontologie picturale.