La Tremenda Empresa de Soledad
La terrible entreprise de solitude
L’idée de la TES m’est venue peu après une conversation avec une connaissance. On tentait de traduire le mot «grand» à l’espagnol. Il m’a proposé «tremendo». Bien sûr, c’est juste, mais c’est plus, c’est trop. «Tremendo» c’est aussi le tonnerre, c’est le bruit et la peur, c’est la grandeur qui nous effraie, qui nous rapetisse devant la nature. Alors m’est venue cette idée simple, une idée en forme de slogan : La Tremenda Empresa de Soledad. Par ce titre, par le non-sens d’une entreprise de solitude, c’est l’ensemble de la société que je nomme. Ce titre vint nommer le «brainworm» tenace qui s’était déjà introduit de façon anonyme, une idée à laquelle il manquait la vérité du nom, la poésie et le verbe.
Dans cette idée, il y a la solitude de la création, celle du créateur, seul dans son atelier, en train d’inventer des histoires, de créer des images, d’élaborer du sens en raboutant d’autres parcelles de sens. Puis il y a l’autre solitude, celle de l’individualisme. Celle de l’homme qui invente le monde autour de lui. Celle qui provient de ce que Lipovetzky va appeler le «procès de personnalisation» : une quête en avant de l’homme pour devenir le centre de l’univers. Une quête qui commence chez les princes de la Renaissance par un désir d’émancipation par la connaissance et qui ultimement transformera l’être humain dans les plus obscurs recoins (Foucault). Ces hommes, pour assouvir leurs desseins, vont développer les arts, les sciences, la philosophie, et vont ouvrir à l’humanité entière les portes du savoir. La rationalisation qui gagne l’occident (Habermas), le besoin de libertés individuelles poussé par le commerce, l’industrialisation qui viendra bouleverser l’humanité, c’est l’héritage de ces pionniers qui, au 16e siècle, ont imaginé un monde où l’homme trône au centre, seul. Aujourd’hui, à l’ère de l’information, à l’époque de la communication, jamais l’humanisme n’a autant ressemblé à l’individualisme. C’est cet individualisme contradictoire, héritier de la modernité et de l’humanisme, que j’essaie de cerner dans ce corpus de peintures, mais aussi le rôle contradictoire de la peinture dans ses multiples avatars au cours des siècles.