Deux ans après ma dernière série, Empire, présentée à Montréal à l’Usine C et à la galerie Lacerte art contemporain, ainsi qu’à Québec à la défunte Galerie Michel Guimont, je reviens à Montréal avec une nouvelle série. 8 grands tableaux carrés peints entre 2021 et 2023. 30 ans après ma première exposition à Montréal, aux Foufounes électriques, cette série est une remise en question de mes procédés, de mon langage. Exposés pour la première fois, les tableaux se présentent comme une confrontation d’éléments opposés. Les différents gestes, taches et manières de peindre oeuvrent à concentrer «l’énergie» du tableau, à créer une composition spontanée et centrée. Affichant des motifs variés, les fonds donnent à chaque tableau une atmosphère différente. Gestes, contours dessinés, empâtements colorés sont tirés de tableaux de différentes époques. La série revisite ainsi différents moments de ma pratique en citations : paysages et décors de théâtre se retrouvent incorporés dans les compositions.
L’élément déclencheur de cette série, banal comme la vie, est la longue maladie, puis le décès de ma mère, et le deuil qui s’en est suivi. Dans une pratique soutenue, organisée par projets successifs, qui suit une trajectoire parfois cohérente depuis 30 ans, les drames récents viennent perturber l’ordre et évacuer le reste. La pratique de la peinture, la personnalisation de la «démarche», la quête de visibilité constituent mon quotidien mais semblent dénuées de sens devant le vide laissé par un drame.
Né du désir vain de donner du sens à ce qui n’en a aucun, les tableaux ont été créés sans «programme». Travaillant habituellement avec des textes inspirants, en relation aux sciences humaines (Empire, de Hardt & Negri, 2000, qui évoque les mutations financières de la fin du 20e siècle) ou à des oeuvres littéraires (King Lear, de Shakespeare, série peinte en 2011, ou La chute, de Camus, série de 2008), cette série a trouvé dans l’idée de l’ordalie un sens, un agencement, convenant et poétique.
Le terme ordalie désigne un jugement divin par les éléments. C’est une très ancienne forme de jugement où l’accusé.e doit subir une épreuve dont l’issue est souvent sa mort. Dans sa forme la plus courante, l’ordalie est un duel à mort. Mais des versions cruelles ont circulé qui racontent la terrible réalité des mondes de superstition. Ainsi l’épreuve du feu, où l’accusé.e doit prendre des tisons brûlants dans ses mains et guérir miraculeusement pour prouver son innocence. Ou encore l’épreuve de l’eau où une femme accusée de sorcellerie doit couler dans l’eau glacée pour prouver qu’elle est innocente, et par là même, mourir. Les notions d’épreuve et de destin tragique que contient l’ordalie me semblent faire echo à mon épreuve sans programme.
C’est une ode à la peinture et au dessin qui tente de rendre toute la violence et la tristesse d’une épreuve dont on ne sort pas indemne, la vie.