Sic transit

Cette série inédite est composée exclusivement de tableaux peints à l’huile qui reprennent des photographies de l’artiste prises au cours des 25 dernières années. Aux motifs variés, les tableaux présentent des moments d’intimité, des photos de voyage, des paysages, des portraits et des moments d’atelier. Tel un voyage dans un album de photo privé, l’ensemble est une évocation du passage du temps et du caractère éphémère des choses. Le reliquaire et Sic transit sont des termes qui évoquent l’aspect fondamentalement spirituel de notre rapport au temps, au monde et à l’art.

Au moment de commencer cette série, inspirée de ma banque d’images, ma collection de photos, je travaillais sur un autre projet, inspiré de la notion d’«acteur» telle que présentée par Bruno Latour. Cette idée m’a amené à des images intéressantes, mais j’ai fait une rencontre. Beth Leblonc, une collègue de travail dans un atelier de décor, une jeune peintre figurative dont le travail m’a profondément touché. Quand j’ai vu ses tableaux, de petites peintures à l’huile de formats 8 x 10 po., inspirées de ses photos, peintes simplement, sans artifice, ça m’a rappelé mes débuts de peintre et mon rapport à la photo. Je me suis revu à 20 ans fasciné par la photo mais surtout bouleversé par la lecture de «On Photography» de Susan Sontag (1977). Ayant une pratique de la photo depuis mon plus jeune âge, pratique due à un père architecte fasciné par la photo et disposé à imprimer régulièrement nos images, cette lecture a été une épiphanie pour mon esprit photographique, mon goût pour l’archive. 

C’est dans ce texte que pour la première fois mon propre rapport aux images semble devenir évident, semble prendre forme. Il déclenche une auto-critique sur mon rapport au photographique qui m’anime encore. À la relecture récente, les idées sont toujours aussi fortes mais le monde a changé. En ce moment c’est plutôt l’esprit américain de son texte qui m’émeut je crois, cette propension à penser le monde dans une modernité totale, sans attache au passé. Il y est aussi question de cet archiviste, ce collectionneur qui apparaît avec le monde de la consommation, fasciné par l’extrême pauvreté comme par le luxe ostentatoire pour échapper à sa condition «moyenne», ce photographe-chasseur qui se place toujours à l’extérieur de l’action, toujours en surplomb, et qui finit par n’avoir aucune prise sur le réel au-delà de cette archive. 

J’en retiens surtout la texture textuelle, des termes comme :

«the camera is the ideal arm of consciousness in its acquisitive mode» (In Plato’s Cave) 

«Fewer and fewer Americans possess objects that have a patina, old furniture, grandparents’ pots and pans-the used things, warm with generations of human touch, that Rilke celebrated in The Duino Elegies as being essential to a human landscape. Instead, we have our paper phantoms, transistorized landscapes. A featherweight portable museum.» (Melancholy Objects)

«As the taking of photographs seems almost obligatory to those who travel about, the passionate collecting of them has special appeal for those confined–either by choice, incapacity, or coercion-to indoor space. Photograph collections can be used to make a substitute world, keyed to exalting or consoling or tantalizing images.»

«To possess the world in the form of images is, precisely, to reexperience the unreality and remoteness of the real.»

« This spurious unity of the world is effected by translating its contents int:o images. Images are always compatible, or can be made compatible, even when the realities they depict are not.»

«The production of images also furnishes a ruling ideology. Social change is replaced by a change in images. The freedom to consume a plurality of images and goods is equated with freedom itself.»

 «But the force of photographic images comes from their being material realities in their own right, richly informative deposits left in the wake of whatever emitted them, potent means for turning the tables on reality-for turning it into a shadow.» (The Image World).

La relecture de ce texte m’a aussi ramené à ma production de l’époque, à l’ambiance mélancolique de la fin du millénaire, au sentiment d’éphémère qui m’animait alors. À ce moment, j’essayais de saisir ce sentiment spirituel de l’éphémère dans des paysages vides aux horizons tronqués. Au final, ce sont les «Paysages américains» qui sont sortis de ces réflexions. Susan Sontag était pour quelque chose dans ce titre.

Ma propre série ne se destinait pas, à l’origine, à une expo en galerie, je pensais plutôt à une expo intime d’atelier, un petit showroom, c’est au courant de l’année 2024 que j’ai reçu l’offre de l’exposer chez Chiguer Contemporain et j’ai accepté. À l’origine je voulais faire une expo d’atelier, avec des images, comme Beth, inspirées de photos qui traînent sur mes murs depuis toujours, ma «collection»… Et Beth est au courant qu’elle est mon inspiration, on s’est parlé, elle a exposé récemment dans le hall des serres de Westmount de très beaux tableaux. Merci Beth.

https://www.bethanyleblonc.com/home/paintings